Accusations injustifiées
Accusation de pornographe
La plus sordide des rumeurs est sans doute celle qui le relie à la pornographie. Ces allégations, ancrées dans une condamnation mineure datant de 1911, sont gonflées hors de toute proportion pour salir sa réputation. Pourtant la peine de 1911 à 4 mois de prison et 1 000 francs d’amende pour lui et ses co-accusés « pour la vente d’images… » est particulièrement légère dans un contexte où la pudeur prônée par le sénateur Berenger prévaut. Il sera d’ailleurs réhabilité le 7 novembre 1919.
Les accusations de pornographie portées contre Bernard Natan l’ont été a posteriori, en particulier par des publications antisémites comme Gringoire et Je suis partout et n’ont jamais été étayées par des preuves solides.
Il est pourtant simple de vérifier les documents d’époque, les archives, etc. Or, il n’existe aucune preuve permettant de rattacher Bernard Natan au milieu de la pornographie.
Natan avait dirigé plusieurs sociétés de production cinématographique connues, telles que Rapid-Film ou Pathé-Natan, mais aucune de ces entreprises n’a jamais été associée à la production de films pornographiques. Les archives de ces sociétés n’indiquent aucun lien avec ce genre de contenu, et les sources d’époque ne font jamais mention de l’implication de Bernard Natan dans la production de films à caractère pornographique.
Mais à une époque où la pornographie était taboue et sévèrement réprimée, cette accusation frappera l’imaginaire collectif. Elle fait de lui, dans l’opinion publique, un homme immoral, renforçant l’image caricaturale d’un étranger corrupteur. Ces calomnies, reprises dès le milieu des années 30 et diffusées largement dans la presse, contribueront à briser non seulement sa carrière mais aussi son honneur, le rendant vulnérable face à ses adversaires et à la justice de l’époque.
Pendant des décennies, son nom restera enseveli sous les calomnies. L’homme de progrès qu’il était sera réduit à une caricature : celle d’un fraudeur, d’un « pornographe », d’un « étranger » indigne de reconnaissance. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que seront entrepris des travaux de réhabilitation à partir de sources fiables. L’ouverture des archives permettra de procéder à des recherches approfondies qui révéleront l’ampleur des calomnies et des injustices subies par Bernard Natan, montrant que ces accusations étaient surtout motivées par des préjugés et des intérêts opportunistes.
Remise en cause de son passé de héro de guerre

Dans les années 1930, une série de campagnes de dénigrement, teintées d’antisémitisme acharné, se déploie contre Bernard Natan. Le but ? Minorer son rôle de soldat pendant la Première Guerre mondiale et, au-delà, le présenter comme un étranger indigne de la citoyenneté française. Ces attaques s’inscrivaient dans une stratégie plus large visant à nourrir un discours xénophobe et antisémite, jetant une ombre sur son intégration et son patriotisme.
En réalité, le contexte de son service militaire est le suivant :
En août 1914, il s’engage dans la Légion étrangère. Pendant la Première Guerre mondiale, il s’illustre en servant dans l’armée française. Volontaire, il combat pour la France, mettant sa vie en jeu pour défendre la nation.
Incorporé au 19e escadron du train, il sera muté au 13e régiment d’artillerie, puis à la 97e division. Cité à l’ordre de la division le 18 octobre 1915, puis le 8 mai 1916, sa bravoure lui vaut d’être grièvement blessé, mais aussi d’être décoré de la Croix de Guerre avec palmes, récompensant ses actes de courage. Il sera démobilisé le 8 octobre 1918 avec le grade de sergent.

Cette distinction, ainsi que son engagement volontaire, effaceront la condamnation de 1911, facilitant également sa naturalisation.
Il continuera à servir le Ministère de la Guerre et la propagande française après la Guerre. L’armée reconnaissante, ce sera le Ministre de la Guerre Paul Painlevé qui inaugurera ses studios rue Francoeur.
Raymond Bernard rappèlera d’ailleurs que l’idée des Croix de Bois était de Bernard Natan lui-même.
La Légion Etrangère dans son exposition Légion et Cinéma de 2017 lui rendra d’ailleurs hommage.
L’escroc juif
Au milieu des années 30, Bernard Natan a été accusé de pratiques frauduleuses. On lui a reproché la gestion de Pathé-Natan, accusé d’utiliser les ressources de l’entreprise à des fins personnelles, notamment pour financer d’autres projets. Lorsque Pathé-Natan est déclaré en « faillite » en 1936, certains ont affirmé qu’il avait délibérément conduit l’entreprise à sa perte à travers des pratiques irresponsables et malhonnêtes, occultant le contexte économique et politique de l’époque.
Comme vu sur la page Tragédie personnelle, à titre de comparaison, l’autre Géant du Cinéma Français qu’était le conglomérat Gaumont-Franco Film-Aubert (GFFA) est déclaré en faillite en 1934. Pourtant, les dirigeants du conglomérat ne vivront pas une telle campagne de dénigrement.
Les années 1930 étaient marquées par la Grande Dépression, une crise qui touchera de plein fouet les revenus des studios de cinéma et fragilisera l’équilibre financier de géants comme Pathé. La transition vers le cinéma parlant engendrera d’importants besoins en capitaux pour de nombreuses sociétés, dont Pathé-Natan. Le modèle économique ambitieux que Bernard Natan avait mis en place exigeait de lourds investissements et les banques partenaires, fragilisées par la crise, n’ont pas suivi. Ces éléments suggèrent que la « faillite » de Pathé-Natan était bien plus le produit de circonstances économiques globales et de la défaillance des banques que d’une fraude préméditée.
Les tensions industrielles n’ont pas non plus joué en sa faveur. L’ascension fulgurante de Bernard Natan dans un secteur cinématographique dominé par des figures établies provoquera l’envie et la jalousie de certains, qui ne voyaient pas d’un bon œil ses méthodes novatrices. Les convoitises et les manœuvres de déstabilisation orchestrées par de nombreux prédateurs ont permis dans un contexte de crise économique généralisée, de désigner un dirigeant ambitieux, juif et étranger comme bouc émissaire.
Les pratiques financières qui lui sont reprochées étaient courantes à l’époque dans nombre d’activités et la situation économique de Pathé-Natan pouvait être expliquée par des facteurs structurels – dettes liées aux investissements et crise économique – plus que par une fraude intentionnelle et sans aucun enrichissement personnel.
Pour Bernard Natan, les conséquences de ces accusations seront dramatiques. Il sera condamné à plusieurs reprises, même à titre posthume… et la dernière condamnation interviendra en 1949, 7 ans après son extermination.
Pathé-Natan était-elle vraiment en « faillite » ?
La situation financière de Pathé-Natan en 1939 demeure un sujet complexe, souvent perçu à travers des prismes contradictoires, entre les controverses économiques et les interprétations nourries par un contexte particulièrement hostile à Bernard Natan.
En 1936, Pathé-Natan est officiellement déclarée en « faillite ». Ce constat de faillite n’était toutefois que la pointe visible d’une crise plus profonde, née des répercussions de la Grande Dépression de 1929. L’économie mondiale, alors en proie à une crise systémique.
Cependant, en 1939, la situation de Pathé-Natan n’est pas aussi catastrophique qu’il n’y paraît à première vue. En dépit de la faillite légale, la société poursuivra son activité, gérée par les syndics nommés en 1936. Ces derniers réussiront même à maintenir l’entreprise à flot, sans recourir à des financements extérieurs, et parviendront à dégager des bénéfices pendant plusieurs années… Selon les rapports de ces syndics, bien que la société fût en faillite sur le plan juridique, elle disposait d’une solidité financière suffisante pour honorer ses dettes, y compris les indemnités de retard. Une expertise réalisée en 1939 révèlera que l’actif de Pathé-Natan était supérieur à son passif, suggérant que la société était capable de rembourser ses créanciers et se trouvait donc, dans les faits, en bien meilleure santé financière qu’on ne voulait le dire.
En conclusion, parler de « faillite » en 1939 semble très éloigné de la réalité. L’entreprise l’était certes juridiquement, mais dans la pratique, elle continuait de fonctionner et de démontrer une viabilité financière. La situation de la société ne relevait donc pas d’une défaillance irrémédiable, mais d’un enchevêtrement complexe de facteurs économiques, de manipulations financières et de préjugés antisémites qui ont contribué à entretenir cet imaginaire.
Le ministre de l’Information, Paul Marion, écrit le 29 avril 1941 au garde des Sceaux :
« J’ai l’honneur d’attirer votre attention sur l’intérêt que présente le règlement rapide de la faillite de Pathé Cinéma. La prompte reprise de l’activité de cette société, la plus importante de l’industrie cinématographique française et la plus complète du fait qu’elle possède à la fois un circuit de salles et des industries techniques, est particulièrement souhaitable… Par ailleurs, les manœuvres dilatoires sur le terrain judiciaire d’un groupe d’actionnaires d’opposition qui semblent agir dans un sens non conforme à l’intérêt national viennent retarder l’oeuvre de réorganisation nécessaire… »
Il sera demandé à des « experts » de réaliser une nouvelle estimation des actifs de Pathé Cinéma, et ceux-ci découvrent que l’actif est supérieur au passif. La nouvelle société est donc en mesure de régler tous les créanciers, intérêts de retard inclus, et de rembourser les obligataires en payant les cinq années d’intérêts non réglés… Pour… finalement, décider de renoncer à la « faillite » et la nouvelle société créée par les repreneurs deviendra propriétaire de l’ensemble des actifs de Pathé Cinéma, pourtant largement crées et valorisés par Bernard Natan.