Une vision avant-gardiste du cinéma

Choix artistiques et techniques marquants

Bernard Natan, figure emblématique et visionnaire du cinéma, a durablement transformé l’industrie cinématographique française et européenne par ses choix audacieux, alliant innovation technique, diversité artistique et modernisation des infrastructures. Sa carrière prend une autre dimension à la fin des années 1920, lorsqu’il comprend l’importance du cinéma parlant, révolution technologique qui redéfinit l’expérience cinématographique. À une époque où beaucoup hésitent, il investit massivement dans des studios modernisés et équipés des dernières technologies sonores. Il acquiert les droits d’exploitation et de commercialisation d’un des trois meilleurs procédés d’enregistrement sonore, celui de la firme américaine RCA (les deux autres sont l’américain Western-Electric, adopté par Paramount et l’allemand Tobis-Klangfilm). Cette adoption rapide et efficace du cinéma parlant, illustrée par le premier « Film français 100 % parlant » Les Trois Masques d’André Hugon, positionne Pathé-Natan comme un pionnier en France (même si Bernard Natan le fait réaliser en Grande-Bretagne).

Attaché à l’excellence visuelle et narrative, il s’entoure aussi de réalisateurs, scénaristes et techniciens de renom tels que Raymond Bernard, Maurice Tourneur, Anatole Litvak ou Jacques Feyder etc. Leur offrant les moyens nécessaires pour concrétiser leur vision artistique. Il introduit également des talents et signe des contrats qui pouvaient durer jusqu’à trois ans avec des figures qui deviendront emblématiques du cinéma français, comme Fernandel dans Le Roi des resquilleurs, Raimu, Charles Vanel, Jean Gabin, Gaby Morlay etc. Sa production témoigne d’une diversité de genres remarquable : des drames sociaux tels que Les deux orphelines, des adaptations littéraires ambitieuses telles que Les Misérables de Victor Hugo et Les Croix de Bois de Roland Dorgelès, mais aussi des comédies et opérettes populaires comme Ciboulette. Ce mélange de genres traduit son désir de satisfaire un large éventail de spectateurs, tout en valorisant une profondeur artistique et littéraire.

Bernard Natan modernise les studios de la rue Francoeur et de Joinville pour intégrer la technologie sonore dès leur conception et investit dans la couleur, les effets spéciaux et la post-production, avec des laboratoires et des studios à la pointe. Il crée ainsi un modèle intégré inspiré des studios américains : Pathé-Natan contrôle la production, la distribution et l’exploitation des salles. Sous sa direction, la liste des cinémas s’enrichit (plus de 60 cinémas en France et en Belgique). Ils sont modernisés avec une attention particulière à l’acoustique et au confort des spectateurs.

Il est aussi un précurseur dans l’exploration de nouveaux formats. Avec sa société Rapid-Film, il avait déjà popularisé les courts-métrages publicitaires, anticipant l’essor de la publicité audiovisuelle. Il produisait également des documentaires et des films éducatifs sur des sujets sociaux, historiques, touristiques etc. affirmant sa vision d’un cinéma utile et diversifié. Sa capacité à exploiter le cinéma comme media multiple reflète une ambition d’ouvrir le 7e art à de nouveaux usages.


Ses contributions et son influence sur le cinéma français

Avec ses sociétés Rapid-Film et Rapid-Publicité, Bernard Natan jette les bases de la publicité audiovisuelle. Il explore des usages alternatifs du médium, produisant certains des premiers films publicitaires, des documentaires éducatifs et engagés mais encore sportifs (Victoires au tennis de Susan Lenglen ou le combat de boxe de Georges Carpentier etc.).

L’une des contributions les plus marquantes de Bernard Natan est son adoption du modèle d’intégration verticale. Inspiré par Hollywood, il applique cette stratégie à Pathé-Natan en s’assurant que son entreprise contrôlait chaque étape de la vie d’un film : de la pellicule à la production, la distribution, et jusqu’à la diffusion dans le plus important réseau de salles en France qu’il a constitué. Cette approche permet non seulement de professionnaliser le secteur, mais aussi de renforcer la compétitivité du cinéma français face à la puissance des productions américaines.

Il est l’un des premiers en France à saisir le potentiel du cinéma parlant. Il investit dans des équipements de pointe pour équiper les studios Pathé-Natan, les transformant en un modèle pour l’ensemble de l’industrie française. Cette innovation enrichit non seulement l’expérience cinématographique, mais révèle également une nouvelle génération d’acteurs et de réalisateurs qui savaient exploiter la puissance narrative du son. Effets sonores et musique viennent enrichir les productions.

Au-delà de l’innovation technique et narrative, Bernard Natan se souciait profondément d’élargir l’accès au cinéma. Cette volonté de démocratisation permettra au cinéma de devenir un loisir accessible, unifiant les générations et les classes sociales autour de la magie du grand écran, pour devenir le cinéma que l’on connaît aujourd’hui.

Sous sa direction, Pathé-Natan produit des films d’une diversité étonnante. Il ne craignait pas de mêler ambition artistique et attrait populaire, comme en témoignent des œuvres emblématiques telles que Les Misérables. Ce type de film, alliant profondeur narrative et universalité, a ouvert la voie à un cinéma capable de divertir tout en suscitant réflexion et émotion. Aujourd’hui encore, cette double exigence est au cœur du cinéma français.

Bernard Natan comprenait également que le cinéma devait refléter l’identité culturelle de son pays. À travers ses choix artistiques, il affirme la richesse et la singularité du cinéma français, privilégiant des récits locaux et des sensibilités artistiques distinctes. Cette approche a permis au cinéma hexagonal de rivaliser avec Hollywood tout en préservant une voix propre. Malgré les campagnes antisémites qui ternissent son nom et la tragédie de sa fin, Bernard Natan reste une figure incontournable du cinéma français. Son courage, son imagination et son engagement ont contribué à façonner une industrie. Plus qu’un entrepreneur ou un réalisateur, il était un bâtisseur, un visionnaire, qui a construit une « major » française.

Le site La Belle Equipe reprend les articles d’époque évoquant Bernard Natan et notamment :

Il est également possible de retrouver sur RetroNews les articles portant sur les réalisations de Pathé-Natan, comme par exemple « La Critique Cinématographie » du 10 février 1934 évoquant Les Misérables ou Le Petit Provençal, 19 janvier 1934 évoquant le même film.