Les campagnes de dénigrement



Les attaques antisémites de son époque

Bernard Natan est aussi l’un des plus tragiques symboles d’un acharnementd’accusations et de calomnies d’une rare virulence. À l’apogée de sa carrière, alors qu’il transforme l’industrie cinématographique avec ambition et modernité, il devient la cible d’un flot d’accusations, amplifiées par l’antisémitisme virulent et le climat politique délétère de son époque. Ces attaques, orchestrées par ses détracteurs, ont non seulement causé sa chute mais effacé son héritage pendant des décennies. 

Dans les années 1930, la France est en proie à une montée des extrémismes, alimentée par la crise économique et les tensions sociales. Bernard Natan, juif roumain naturalisé français, incarne malgré lui une cible idéale pour les campagnes de haine mêlant racisme et xénophobie. La presse d’extrême droite de l’époque, menée par des journaux comme Je suis partout et Gringoire ou L’Action Française se fait l’écho de stéréotypes ignobles, le présentant comme un « profiteur étranger », avide d’exploiter la culture française. Ces attaques médiatiques ne visent pas seulement sa personne, mais s’inscrivent dans une volonté plus large de marginaliser les Juifs, particulièrement ceux ayant atteint des positions influentes.

Or en 1929, Bernard Natan a acquis l’entreprise Pathé particulièrement recentrée après la cession d’actifs réalisée par Charles Pathé. Cette acquisition a pu se réaliser en partie sur la base des actifs de Rapid-Film. Dans ces conditions, prétendre que Bernard Natan était au bord de la faillite et qu’il avait 22 millions de francs de dettes qui auraient été supportées par la société Pathé n’a aucun sens et occulte les quelque 48 millions de francs d’actifs qu’il a apportés… C’est pourtant ce qui a longtemps été écrit et répété.

A la tête de Pathé, Bernard Natan entreprend de moderniser l’entreprise grâce à d’importants investissements, pour en faire un empire cinématographique. Mais le contexte de la Grande Dépression mondiale frappe durement l’industrie et le système bancaire, entraînant des pertes et des difficultés financières inévitables. Pourtant, ce contexte global est délibérément ignoré : Natan est accusé de malversations et de manipulations comptables. Ces accusations servent à envenimer un procès public très médiatisé. Devant des juges influencés par les préjugés de l’époque, il est condamné.



L’apogée d’un acharnement avec l’ouverture de l’IEQJ et l’exposition Le Juif et la France

Lors de l’inauguration de L’Institut d’étude des questions juives, René Gérard et Clément Serpeille de Gobineau mettent en cause l’influence du judaÏsme sur le cinéma français. René Gérard accuse nommément « Tanenzaph dit Natan d’avoir volé l’épargne des français … »

Lien : Ouverture de l’Institut d’étude des questions juives discours d’ouverture René Gérard INA

L’exposition « Le Juif et la France » était une manifestation de propagande antisémite qui a eu lieu notamment à Paris du 5 septembre 1941 au 15 janvier 1942, durant l’Occupation allemande de la Seconde Guerre mondiale. Elle était organisée et financée par l’Institut d’étude des questions juives (IEQJ), sous la supervision de la propagande nazie. Cette exposition, unique en son genre, visait à présenter les Juifs comme des étrangers nuisibles et dominateurs, en utilisant des stéréotypes racistes et des prétentions scientifiques pour justifier les politiques discriminatoires et antisémites de Vichy et de l’occupant allemand.

L’exposition était basée sur les travaux de George Montandon, un anthropologue qui avait publié un livre intitulé « Comment reconnaître le Juif ? ». Elle présentait des panneaux, des photographies, des sculptures, et des textes qui stigmatisaient les Juifs, les accusant de dominer divers aspects de la vie française et mondiale, comme l’économie, les médias, et la politique. Une sculpture notable représentait un Juif stéréotypé étreignant le monde, symbolisant ainsi la prétendue emprise juive sur le globe.

Cette exposition est souvent citée comme un exemple flagrant de la propagande raciale et de l’antisémitisme institutionnalisé pendant l’Occupation, servant à préparer le terrain pour les mesures plus sévères contre les Juifs, y compris les rafles et les déportations.


Campagne de presse diffamatoire

Il suffit de consulter les journaux accessibles qui peuvent se retrouver sur le site Retronews rattaché à la BNF, site spécialisé dans les archives de Presse, pour constater l’ampleur de la campagne diffamatoire :

  • Paris-soir, 6 mai 1939 : évoque un certain Natan Tanenzapf, reprenant à dessein son nom de naissance, qui serait « arrivé d’Europe Centrale en 1920 », occultant ainsi son engagement volontaire dans la Légion Etrangère pendant la Première Guerre Mondiale.
  • L’Œuvre, 30 mai 1941 : évoque « une arrivée d’un Ghetto, mais en 1908, une carrière de producteur et acteur de films pornographiques ». Occulte la Première Guerre Mondiale.
  • Je suis partout, 9 juin 1941 : affiche une photo d’un film pornographique dans lequel tournerait Bernard Natan. La photo ne représente pourtant pas Bernard Natan…
  • L’appel, 16 octobre 1941 : évoque « un Juif » arrivant d’un Ghetto de Roumanie, qui aurait passé la Première Guerre à défendre l’Ecole Militaire à Paris.

Les conséquences de ce climat

L’impact de ces campagnes est profond. Bernard Natan est progressivement dépeint comme un « étranger dangereux », accusé de malversations dans son rôle à la tête de Pathé. Ces attaques prépareront le terrain pour sa déchéance de nationalité en 1942, permettant sa déportation. En dépit de son passé militaire, il est privé de ses droits civiques sous le régime de Vichy. Privé de son statut de citoyen français mais libérable le 23 septembre 42, il est remis par les autorités françaises aux autorités allemandes, interné à Drancy, et déporté à Auschwitz le 25 septembre 1942, où il meurt dans l’oubli, victime d’un système qui le rejetait.

Dès son arrestation en 1938, tous ses biens personnels (et ceux de sa femme, alors qu’ils étaient, pourtant, séparés de biens), ont été mis sous séquestre puis saisis comme « biens juifs » ou vendus à l’encan.