La légende noire

Les conséquences des campagnes de dénigrement

Après la mort de Bernard Natan, certaines sources ont continué à relayer la « légende noire » qui l’entourait, héritée des attaques antisémites des années précédentes, notamment celles portées par les publications précédemment citées.

Parmi ces sources Joseph W. Slade, professeur et chercheur spécialisé dans l’étude du cinéma clandestin. Dans ses travaux, Slade a soutenu que Natan aurait été impliqué dans la production et l’apparition dans des films pornographiques.

Cependant, ces accusations ont été largement contestées et sont aujourd’hui considérées comme non fondées, rejetées par de nombreux spécialistes.

En comparant des images de films mentionnés par Slade avec des photographies officielles de Natan, des différences flagrantes ont été relevées, notamment en termes d’âge et de traits physiques. Ces divergences ont rendu les accusations de Slade peu crédibles, remettant en question toute la base de ses arguments.

De plus, Slade a suggéré que Natan avait agi comme producteur de films pornographiques, mais là encore, aucune preuve ne vient étayer cette hypothèse. Natan avait dirigé plusieurs sociétés de production cinématographique connues, telles que Rapid-Film ou Pathé-Natan, mais aucune de ces entreprises n’a jamais été associée à la production de films pornographiques. Les archives de ces sociétés n’indiquent aucun lien avec ce genre de contenu, et les sources d’époque ne font jamais mention de l’implication de Bernard Natan dans la production de films à caractère pornographique.

En réponse à ces accusations, des membres de l’association Les Indépendants du Premier Siècle et André Rossel-Kirschen, le neveu de Bernard Natan, ont vigoureusement contesté les affirmations de Slade. Ils ont rappelé que les accusations contre Natan dans les années 1930 étaient largement motivées par des préjugés antisémites et ne reposaient sur aucune preuve solide.

André Kirschen dans son livre Pathé-Natan La véritable Histoire en pages 53 et 54 reprenant son enquête sur la question des films pornographiques :

« Le Dr Slade précise que plusieurs de ces films sont archivés à la cinémathèque de l’Institut Kinsey à l’Université de l’Indiana aux Etats-Unis. Interrogé par nous, l’Institut Kinsey a indiqué qu’il ne possédait qu’un des films cités par le Dr Slade dont nous avions donné la liste et a précisé qu’il ne possédait aucune indication permettant d’attribuer ce film à Natan : »It would be hard to attribute these films to Natan. Likewise, for the film we do hold here is no information in the bibliography record which would link the film to Natan ».

En outre, Slade cite par exemple comme source la filmographie d’un artice de Positif de 1964, 20 ans après la mort de Bernard Natan, rédigé par Paul CARON dont personne ne connait la méthodologie, visant un Nathan avec un H réalisateur et acteur de films des années 1920, à une époque où Bernard Natan, la quarantaine, est déjà un producteur à succès. Par exemple, en 1924 il est sélectionné par le Comité international olympique pour filmer les Jeux olympiques…

Le documentaire Natan de Paul Duane et David Cairns, qui a examiné les images des films en question, a également démontré que Natan n’était pas l’acteur dans les films pornographiques cités par Slade. Même Slade lui-même, après avoir confronté ces éléments de preuve, a reconnu dans ce documentaire qu’il pourrait avoir fait une erreur dans ses affirmations, ce qui témoigne d’une remise en question de ses propres conclusions. Face caméra il va même jusqu’à présenter ses excuses.

Ainsi, les accusations de Slade contre Bernard Natan ont été discréditées et sont désormais perçues comme une extension de la « légende noire » qui a entouré Natan pendant des années.

Certaines de ces « études » sont certes postérieures à son assassinat dans les camps de la mort, mais ne faisaient pas encore l’objet des recherches approfondies qui ne sont intervenues qu’à partir des années 1990. Les sources antérieures à ces années ne disposaient pas des éléments nécessaires pour être suffisamment fiables.

Autre exemple : le travail effectué par Jean-Pierre Jeancolas qui dans l’un de ses ouvrages évoque sur les faits de 1911 « la condamnation est bien plus lourde puisque Natan est privé de ses droits civiques et son frère est de ce fait obligé de reprendre les mandats sociaux de ses sociétés ». Pourtant en 1911, il est encore roumain… et ne peut donc pas être privé de droits civiques… et son unique frère Emile Natan, né en 1900, vit encore en Roumanie et n’a que 11 ans…

Bernard Natan, exterminé en 1942 ne peut plus rétablir la vérité.

Toutes ces déclarations fantaisistes, reprises après-guerre dans la plupart des encyclopédies consacrées à l’histoire du cinéma ne reposent sur rien de concret et se révèlent aujourd’hui simplement inexploitables.


Mémoire ternie et occultée après sa mort

Dès qu’il prend les rênes de Pathé en 1929, Bernard Natan devient une cible privilégiée. Ces attaques ne cessent pas après sa mort, renforçant une image déformée de son rôle dans l’industrie cinématographique. La presse antisémite le décrit comme un « profiteur étranger », un « parasite juif » ou un « corrompu », insistant sur le fait que son succès serait dû à des pratiques malhonnêtes. Les accusations de fraude financière et de production de films pornographiques sont répétées et amplifiées, bien qu’elles ne disposent pas de preuves solides.

Après sa déportation à Auschwitz et son assassinat dans les camps de la mort, les attaques contre sa personne ne cessent pas. Au contraire, elles prennent de l’ampleur. Ses innovations et la modernisation de Pathé à laquelle il a tant œuvré sont délibérément occultées ou attribuées à d’autres figures pour minimiser son rôle dans l’histoire du cinéma. Ceux qui avaient tiré profit de la chute de Pathé-Natan participent à réécrire l’histoire en l’excluant, effaçant ainsi sa contribution majeure.