Une ascension fulgurante

Ses débuts

Bernard Natan débute sa carrière dans le cinéma français avec un enthousiasme dévorant et une soif d’apprendre. Jeune immigré, il trouve ses premiers emplois comme projectionniste, puis comme chimiste dans un laboratoire de films pour Pathé-Frères. Rapidement, ses compétences techniques et sa passion pour cet art encore naissant lui permettent de gravir les échelons. Visionnaire, il pressent que le cinéma ne se limiterait pas au divertissement mais deviendrait un puissant vecteur d’information. En 1909, animé par cet idéal, il fonde sa première société, Ciné-Actualités, dédiée à la production de films d’actualités.
 
Chaque semaine, les productions de Ciné-Actualités font vibrer les salles de cinéma en capturant des événements contemporains : des compétitions sportives exaltantes, des défilés majestueux ou des cérémonies fastueuses. Ces courts métrages sont projetés avant le film principal, offrant aux spectateurs une fenêtre sur le monde. Ce succès naissant confirmait à Bernard qu’il avait trouvé sa voie.
 
Trois ans plus tard, en 1913, il lance une nouvelle entreprise, Rapid-Film, un nom qui reflétait son ambition. Cette société se diversifie rapidement : courts métrages, films publicitaires, actualités, tout était matière à création. Bernard voyait grand. Il investit dans la location de matériel cinématographique, se lance dans la gestion de studios et développe des films pour un public toujours plus exigeant.
 
Sous sa direction, Rapid-Film prospère, devenant une entreprise reconnue à son époque : acquisition des immeubles de la rue Francoeur et de la rue Cyrano de Bergerac, installation à côté des ateliers de studios de montage qui permettront de produire de nombreux films et notamment les premières prises de vues des Jeux Olympiques de Paris de 1924, dont Bernard Natan était particulièrement fier.

En 1924, Rapid-Film devient une SA au capital de 2 millions de francs ; une série d’augmentations va porter le capital à 7 millions de francs et en 1928, la société émet 10 millions de francs d’obligations. Avec ces capitaux, Bernard Natan va pouvoir créer dans l’immeuble du 6 rue Francoeur deux studios de prises de vue (Les Studios Réunis ou Les Studios Natan).
 
Ses studios, inaugurés en 1927 par le ministre de la Guerre Paul Painlevé au 6 rue Francoeur, étaient à la pointe de la modernité. C’est là que seront réalisées des œuvres majeures. Ces studios, qui accueilleront plus tard la Fémis (prestigieuse école de cinéma française), furent un symbole de l’ambition de Bernard Natan : porter le cinéma français à un niveau digne d’Hollywood.
 
En 1926 il s’associe avec notamment Henri Diamant-Berger pour créerles Productions Natan qui produiront de nombreux films tels que Education de prince, la Madone des Sleeping, la Chatelaine du Liban, Palaces, Phiphi etc. (cf filmographie).
 
En 1928, il participe avec Cinéromans à la production du film de Marcel l’Herbier l’Argent, et surtout à une superproduction réalisée par Marco de Gastyne qui sortira en 1929 : La Merveilleuse Vie de Jeanne d’Arc.
 
L’année 1929 est un tournant décisif. Il est élu Vice-Président de la Chambre Syndicale de la Cinématographie, dont il était membre du Comité directeur et trésorier de la Chambre Syndicale de la Cinématographie depuis 1924.
 
La même année, Bernard Natan, toujours à la recherche de nouveaux défis, prend le contrôle de Pathé, fleuron du cinéma français. Cette acquisition est un pari qui nécessite des investissements importants et des emprunts significatifs. En fusionnant Rapid-Film avec Pathé, il donne naissance à Pathé-Natan, imprimant ainsi son nom sur l’une des plus anciennes institutions cinématographiques du pays.
 
La fusion se réalise avec l’apport des actifs de Rapid-Film selon les modalités du traité de fusion. Ces actifs sont composés des 2 studios en pleine activité et bénéficiaires et la propriété des immeubles de la rue Francoeur et de la rue Cyrano de Bergerac, ainsi que de l’important atelier de tirages de films (Rapid-Film) et l’atelier de réalisation de films publicitaires (Rapid-Publicité).
(cf AG du 10 septembre 1929, texte complet disponible dans le livre de Jacques Kermabon – Pathé, 1er Empire du cinéma – p. 425 à 430).
 
Pathé-Natan connait une véritable renaissance sous la direction de Bernard Natan qui modernise les studios, investit dans le cinéma parlant et diversifie les activités du nouveau groupe.
 
Il acquiert différents brevets, tels que :
– les brevets du Pr Chrétien pour l’Hypergonar qui deviendra le cinémascope,
– les brevets de télévision Baird (Baird Natan).
 
Il acquiert également un poste de radiodiffusion : Radio Vitus Natan.
Sous son impulsion, des studios photos sont créés, alliant excellence et respect de l’esthétique, pour magnifier les acteurs.
Il entoure ses films de publications, en créant notamment le journal « l’Image » qui ajoute la dimension presse écrite à un ensemble multi média complet qui n’oublie aucun des aspects de la communication grand-public. Roland Dorgelès en sera rédacteur en chef. Il crée les « Journées Nationales du cinéma Pathé-Natan » pour inviter le public à comprendre la production cinématographique.
 
Il produit Les Trois Masques, « Film français 100 % parlant » tourné aux studios d’Elstree en Grande-Bretagne, seuls studios européens permettant alors de tourner des films parlants. Il sera amené à moderniser ses studios en France afin de permettre la réalisation de tels films. Pour la première fois en 1930, sera tourné Chiqué premier film parlant réalisé en France sans version étrangère.
 
Il rénove les salles de cinéma existantes et constituera avec les nouvelles acquisitions un réseau unique qui lui permettra de développer une stratégie intégrée : production, distribution et exploitation.
 
Grâce à lui, Pathé Journal, pourtant abandonné en 1927 par Charles Pathé, est repris et devient une célèbre collection d’actualités. Pathé Journal retrouve tout son éclat, et les spectateurs français sont émerveillés par des productions innovantes portées par des réalisateurs et des acteurs de renom (voir filmographie).
 
Les studios
Les deux studios de la rue Francoeur pouvaient paraître insuffisants pour une société qui avait des ambitions en matière de production.
Bernard Natan va donc acquérir en 1929 la Société Cinéromans appartenant à Jean Sapène, lequel possédait notamment les 6 studios de Joinville. Dans la corbeille, Sapène apporte à Bernard Natan la société Pathé Consortium Cinéma et son organisation de distribution. Outre les 6 plateaux, Bernard Natan va construire de nouveaux plateaux. Avec ceux de Francoeur, la firme va disposer d’un parc de 9 puis 11 studios où l’on pourra tourner simultanément des films pour la maison-mère mais aussi pour des producteurs associés.
 
La constitution du plus grand circuit français de salles :
Dès le 12 avril 1929, c’est-à-dire douze jours après sa nomination officielle comme administrateur délégué, Bernard Natan crée la Société de Gérance des cinémas Pathé qui va prendre le contrôle du Circuit Lutetia-Fournier, composé de 20 salles. Jusqu’en 1930, de nombreuses prises de contrôle ou acquisitions comme le Marignan, l’Ermitage et le Victor Hugo, viendront compléter le dispositif, en France et en Belgique. En 18 mois, Bernard Natan avait acquis le plus grand circuit de France, riche d’une soixantaine de salles à Paris et en province.
 
Pathé-Natan devient la plus importante firme française du cinéma, devant Gaumont.
 
Malgré ses succès éclatants, Bernard Natan devient une cible. Pathé-Natan alimente bien des convoitises et des manœuvres de déstabilisation organisée par de nombreux prédateurs. Dans les années 1930, alors que l’antisémitisme s’intensifie en France, son origine juive et son statut d’immigré font de lui un bouc émissaire idéal. Ses méthodes audacieuses, sa volonté de modernisation et sa position en vue lui attirent des critiques acerbes qui contribueront à ternir l’héritage qu’il laissera derrière lui. Ce bâtisseur visionnaire a pourtant transformé le cinéma français en une industrie moderne, à l’égal des géants d’outre-Atlantique.

En 1933 il est même nommé au grade de Chevalier de l’Ordre de la Couronne de Belgique.


Le cinéma, sa passion – l’exemple Méliès

Bernard Natan a joué un rôle clé à un moment de la vie de Georges Méliès, figure emblématique du cinéma français, en l’aidant financièrement quand ce dernier traversait de grandes difficultés. Cette aide a été décisive pour Méliès, dont la carrière, pourtant brillante, avait connu une chute tragique après la Première Guerre mondiale.
 
Au début des années 1920, Georges Méliès, l’inventeur des effets spéciaux au cinéma et réalisateur des célèbres Voyage dans la Lune (1902) et Le Château hanté (1897), a vu son studio, la Star Film, sombrer dans la faillite. L’arrivée du cinéma commercial et la Première Guerre mondiale avaient mis fin à ses productions ambitieuses et à son succès. En plus de la perte de son studio, il avait été contraint de vendre ses droits d’auteur et ses films à des sociétés de distribution.
 
C’est alors que Bernard Natan, qui venait de prendre la direction de Pathé en 1929, a croisé la route de Méliès. Natan, voyant la situation précaire de l’ancien magicien du cinéma et l’importance de son héritage, décide de l’aider financièrement. Il lui accorde un soutien économique régulier qui permet à Méliès de sortir de la pauvreté et de retrouver une certaine dignité.
 
Bernard Natan, en tant que directeur de Pathé, avait une vision claire de la nécessité de préserver et de protéger les pionniers du cinéma et leurs œuvres, même si ceux-ci étaient alors oubliés ou dévalorisés par le grand public.
 
Madeleine Malthète-Méliès, petite-fille de Georges Méliès, raconte : « Un soir, un inconnu vient voir Georges dans la petite boutique de la Gare Montparnasse. Il bavarde quelques instants avec lui et le lendemain MÉLIÈS a la surprise de recevoir un chèque. Cet envoi va se répéter chaque mois, ponctuellement, durant 6 ans sans que personne ne sache jamais rien. L’inconnu se nomme NATAN… Au mois de Septembre 1933, nous réussissions à partir pour la Bretagne, grâce à un envoi toujours aussi discret mais plus important que les autres de NATAN qui a appris par GRIMOIN-SANSON, avec lequel mon grand-père correspond toujours, combien MÉLIÈS est triste de ne pouvoir se rendre au bord de la mer, comme chaque année. Discret, généreux et efficace NATAN » (in Méliès, l’Enchanteur, éd. Madeleine Malthète-Méliès, pp 391 et 417).
 
Pour aller plus loin
 
L’association les Indépendants du 1er Siècle, propose de nombreuses biographies, dont notamment la biographie complète de Bernard Natan et la liste de ses réalisations qui peut se retrouver à l’adresse suivante :
 
https://www.lips.org/bio_natan.html